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Comment les particuliers contournent la Safer

Des particuliers achètent des terres agricoles pour y mettre leurs chevaux. Un exemple de ce que les Safer appellent la « consommation foncière masquée » qui a pour effet de réduire les surfaces agricoles exploitées.

Face au droit de préemption des Safer, les non-agriculteurs ont trouvé la parade : le bail emphytéotique. Un contrat qui participe au développement de « la consommation foncière masquée » au détriment de l’agriculture selon elles.

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C’est un phénomène qui inquiète les Safer depuis qu’elles ont commencé à l’observer en 2015 : la « consommation foncière masquée ». Il s’agit de l’achat de biens agricoles par des non-agriculteurs pour les affecter à un usage de loisir ou professionnel non agricole, pour mettre à distance le voisinage, pour stocker des matériaux ou accueillir des dépôts sauvages de déchets ou pour anticiper une urbanisation des parcelles.

25 000 hectares en 2023

Les Safer ont tiré la sonnette d’alarme sur ce phénomène lors de leur congrès à Versailles le 28 novembre 2024. Si un pic a été atteint en 2021 après l’épidémie de Covid avec 32 000 hectares, 25 000 hectares ont été consommés en 2023 selon le dernier pointage. 304 000 ventes relevaient de cette définition sur 2,8 millions de ventes analysées entre 2015 et 2023.

« C’est un phénomène lié à la crise sanitaire avec l’augmentation du marché des maisons à la campagne, mais aussi du marché de petites parcelles agricoles achetées pour un usage de loisir. Ce chiffre de 25 000 hectares est à mettre en parallèle avec les 15 000 hectares d’artificialisation par an », souligne Nicolas Agresti, directeur du service études, veille et prospective de la FNSafer, fédération nationale des Safer.

Le moyen d’éloigner l’agriculteur de chez soi

L’achat de quelques milliers de terres pour y placer un cheval ou un mobile-home avant finalement de construire une petite maison sont des exemples cités. Une maire présente dans la salle soulignait par ailleurs la responsabilité d’Enedis qui branche les parcelles au réseau sans se poser la question de la validité d’un permis de construire.

Ces achats sont aussi le moyen trouvé par ces acquéreurs pour éloigner l’agriculteur de chez soi. « En faisant en sorte que les exploitants soient a minima précarisés sur les parcelles ou s’en retirent », décrit Nicolas Agresti. Présentant un de ces cas de figure avec cartes à l’appui, le directeur de la Safer démontre, comment, d’une propriété vendue avec des terres agricoles, ces dernières ont perdu leur usage agricole.

« À l’issue de la vente, nous avons regardé le registre parcellaire graphique et nous nous sommes aperçus qu’un îlot Pac avait disparu, signifiant qu’un agriculteur s’était retiré. À la suite de la déclaration Pac 2022, toute la surface déclarée était sortie de la sphère agricole. »

Des territoires plus concernés que d’autres

Si le phénomène touche l’ensemble du territoire national, il existe des poches de résistance. « Les parcelles louées par bail rural à un agriculteur ou celles de 5, 10 ou 20 hectares n’intéressent pas ces types d’acquéreurs », ajoute-t-il. Ce n’est qui n’est pas le cas dans les territoires « où le foncier est morcelé avec des parcelles de 1 000 à 3 000 m² ou dans les espaces bocagers avec des propriétés bâties comprenant 2 ou 3 hectares de terrain ». C’est pourquoi la partie ouest de la France et les zones périurbaines sont parmi les plus concernées par la « consommation foncière masquée ».

Les zones littorales par leur attrait touristique le sont aussi. Dans ces régions, la « cabanisation » est courante. « Les terrains sont achetés pour y installer sa tente ou sa caravane durant les vacances, et de fil en aiguille, des constructions sont réalisées », schématise Nicolas Agresti tout en observant un « effet cliquet » : « Quand la parcelle est achetée pour un usage de loisir, c’est compliqué de la faire revenir à un usage professionnel ».

Les Safer regrettent de ne pas avoir les moyens d’agir

Chargées de la régulation des marchés fonciers, les Safer s’estiment démunies pour agir contre « la consommation foncière masquée ». Gilles Flandin, secrétaire général de la FNSafer et président de Safer Auvergne-Rhône-Alpes regrette que le droit de préemption partielle des Safer ne soit pas suffisant « en ne permettant pas d’intervenir sur la valeur totale du bien vente ».

« Le moyen d’action que nous utilisons le plus souvent est la mise en place de cahiers des charges quand nous arrivons à discuter à l’amiable. Nous demandons à l’acquéreur, et nous imposons une fois que le cahier des charges signé, de conserver la destination foncière agricole des parcelles exploitées, décrit-il tout en admettant que cela n’est pas suffisant. Nous savons que nous passons à côté de beaucoup de choses. »

Un bail de 99 ans avec un loyer payable en une fois

C’est le cas lorsque les baux emphytéotiques sont signés. Le schéma est le suivant. Après avoir été notifiée d’une vente, la Safer décide d’exercer son droit de préemption avec révision de prix. « Souvent, ces parcelles sont vendues très cher », observe Nicolas Agresti. Face au prix de la Safer qui est inférieur, le vendeur préfère retirer de la vente ses biens.

« Mais quelques mois après, le maire prévient la Safer en nous expliquant que la parcelle fait l’objet d’aménagements ou bien de stockage de matériaux… Si dans nos bases, nous voyons qu’elle n’a jamais été vendue, nous nous rendons compte qu’il y a eu un bail emphytéotique entre le propriétaire et l’acquéreur de départ, qu’il est signé pour une durée généralement de 99 ans et que le loyer est payé en seule fois à un montant correspondant à peu près à celui de la vente, décrit-il. C’est un mode de transmission de la propriété qui échappe à la régularisation. »

La Safer demande des évolutions législatives pour agir

D’où la nécessité d’évolutions législatives pour la Safer. « Nous appelons le législateur à renforcer le droit de préemption partielle », demande Gilles Flandin. Et d’indiquer que les Safer travaillent également avec les collectivités pour trouver des solutions.

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